L’an passé, l’atelier de dessin de Sarah Navasse devait entrer dans une demi-valise pour se déployer d’un lieu à un autre : France, Brésil, États-Unis. La sensation de déracinement, présente depuis quelques années lors de son expatriation au Texas, s’est étrangement dissipée avec la vie qui a pris forme en elle.
Son art se dessine au seuil d’un évènement ordinaire, mais étrangement impensable, avec un besoin de couleur, de sortir du graphite qui l’a accompagnée tant d’années. La matière est sensuelle. La poudre du bâton de pastel sur le papier artisanal a le velouté d’une peau. Peau animale peut-être, comme les motifs qui apparaissent par moment sur les corps dans certains dessins.
Sa pratique du dessin, liée à la thématique du corps depuis longtemps, nourrie de l’intime, tout en faisant écho au monde et ses tourments, ne pouvait qu’être fortement touchée par une expérience personnelle et universelle à la fois : celle de porter la vie et de déraciner un être de son corps.
Dans ses lectures Sarah a puisé l’inspiration. De « La Commode aux tiroirs de couleurs » d’Olivia Ruiz, une phrase est restée gravée en elle, celle d’un personnage, une femme exilée, seule et enceinte : « Je serai tes origines, tu seras mes racines ». Étrange sensation que l’être en soi puisse donner des racines. Il les inscrit dans le corps, et pourtant, c’est le porteur qui, aussi déraciné soit-il, porte et pousse ses racines, loin du regard des autres, intérieurement et sur la terre où ses pieds se trouvent, quelle qu’elle soit.
« Les cellules buissonnières – l’enfant dont la mère n’était pas née et autres folles histoires du microchimérisme » de Lise Barnéoud est le livre qui l’a accompagnée dans sa création et qui résonne le plus avec cette série de dessins. Ce livre établit que, scientifiquement, le corps pendant la grossesse agit comme un modèle d’intégration en intégrant de nombreuses cellules « étrangères ».
« Etranger ! Que signifie ce mot ? (...) Quelle ineptie de prétendre que je suis moins homme sur un point de terre que sur l’autre ! » (Victor Hugo)
Sarah a pris le parti de travailler des compositions en miroir. Elle a commencé par une série de dessins au crayon, d’imagination, sur petits format. Certains sont ensuite devenus les points de départ pour deux dessins au pastel chacun. Ce mode de travail reflète la multiplicité qui nous constitue, comment l’autre nous construit. Il n’y a pas d’étranger mais un échange, une intégration, une évolution continuelle, et que les racines naissent de cette rencontre, et jamais d’une « pureté » originelle.
— Sarah Navasse