La peinture de Lin Wenjie vient de loin. On pense à Lucian Freud ou Eric Fischl et ce « néo-réalisme » si caractéristique que l’on retrouvera aussi en Chine et qui continue d’inspirer un Liu Xiaodong. On pense aussi à ce dispositif d’ambiance comme on le disait de la Nouvelle vague cinématographique et de ses films qui vous happent de leur mélancolie silencieuse. Pourtant, on ne voit dans l’œuvre de Lin Wenjie ni noirceur ni dureté dans les portraits qu’elle nous livre. La richesse de ses palettes est une ode à la vie, à cet « ici et maintenant » qu’expriment les sages taoïstes ou les adeptes d’Epicure. Images flottantes qui ne nous disent rien d’autre que cet éphémère de tous les jours, une vie simple lavée de tout projet, de cette vie comme elle vient, et qui vous nourrit. En regardant certaines de ces toiles, je me demandais s’il n’existait pas un dialogue secret entre Lin Wenjie et David Hockney. Tout dans cet univers respire, bruit de la nature et du labeur des hommes, et Lin Wenjie adopte une allure lente dans sa manière de rendre visible les choses. C’est de la fraîcheur du monde dont elle nous rend compte et une belle amitié qui unit à la fois les hommes, les animaux et tous les êtres de la nature. Loin de toute folie humaine qui tend à devenir la règle, cette peinture est plus que jamais la bienvenue. On l’aura compris : elle nous aide à vivre.
Emmanuel Lincot
« Aimer le monde en le regardant différemment » - si, au départ, cette phrase s’applique à l’art de David Hockney, elle n’est pas sans évoquer la peinture de Lin Wenjie. Or, en observant les œuvres de cette dernière, il serait tentant de s’attarder sur une éventuelle parenté plastique, voire intellectuelle, avec l’artiste britannique. Reste que, depuis le début de sa carrière, Lin Wenjie, telle une exploratrice du quotidien, trace sa voie. Cette voie a d’abord été pavée de choix : celui de quitter sa famille dès l’âge de 16 ans pour étudier à Pékin et rejoindre la prestigieuse Académie Centrale des Beaux-Arts. Puis le choix de s’aventurer dans un nouveau pays, la France, pour un cursus à l’École des Beaux-Arts de Rouen. C’est là, dans la ville aux cent clochers, que Lin Wenjie vit et travaille depuis treize ans. Elle y cultive un univers à part entière, un microcosme où l’homme semble, enfin, en harmonie avec son environnement. Mais est-ce véritablement le cas ? Pour le découvrir, il faut s’immerger dans ces instants suspendus.
Là, un dialogue passionnant s’amorce entre les règnes du vivant, comme pour se faire l’écho d’un équilibre précaire et complexe. Ainsi, dans Real gentlemen watch chess silently, Greenhouse ou The Chess Players, les silhouettes émergent des frondaisons, comme autant de bourgeons colorés. Ailleurs, elles pourraient presque passer inaperçues, si Lin Wenjie n’avait pas savamment ordonné les feuillages afin de guider le regard. Mais ces édens, bien que luxuriants, n’en restent pas moins des paradis artificiels : échappée sur les Nymphéas de Monet, plantes en pots, serres, parcs, îlots de verdure bordés de tours, ponctués de mobilier urbain ou constellés de topiaires. Cette flore est maîtrisée, domestiquée. C’est également le cas de la relation qui nous unit à nos animaux. Là encore, la dualité est de mise. Les chiens sont tenus en laisse, les chats étreints avec possessivité. Rien que le titre – My Cat – appuyé par une main rendue monumentale par un cadrage en contre-plongée traduit, en filigrane, un
rapport de domination. Pourtant, les propriétaires de ces animaux, à l’instar des autres
personnages de Lin Wenjie, s’abandonnent à la contemplation. Leur attitude, silencieuse et sereine, augure une recherche de sagesse, une volonté d’écoute – un espoir assurément étayé par les déclinaisons chromatiques de Lin Wenjie, souvent audacieuses et optimistes.
Clémence Simon