Avec les oeuvres de Aïcha Snoussi, Aïcha Filali, Alireza Shojaian, Béchir Boussandel, El Mehdi Largo, Eser Gündüz, Halim Karabibene, Rayan Yasmineh, Sarah Navasse, SIMAREK, Slimen Elkamel.
« Agis en ton lieu et pense avec le monde » disait le poète et penseur Édouard Glissant. Pour cela, faut-il déjà en avoir examiné l’état. Avant d’agir, l’artiste pense, observe le monde, et constate que ses lieux sont dans tous leurs états, frappés d’une dichotomie, de part et d’autre des rives la mer Méditerranée, entre Nord et Sud, entre Orient et Occident. La mer est à la fois cet espace qui sépare et qui rapproche. Faut-il en percevoir la nostalgie et la rêverie dans d’oniriques peintures acryliques aux couleurs vives, ou la vivre comme la zone transitoire de l’exil et de l’indigence, alors que des instantanés tragiques se révèlent à l’encre noire, ou que sont superposées les deux promesses salvatrices d’une brassière flottante et d’un tapis de prière ? Les territoires sont réappropriés. Dans les terres rurales, les corps se dépossèdent et sont enfermés dans le cadre étroit de la toile, ou se perdent dans la monotonie d’un labeur répétitif et d’un champ infini. Le milieu urbain récupère ses matériaux exogènes pour procéder à leur « recyclage », comme l’exilé se réintègre socialement dans le cycle d’un nouveau pays. Une terre d’immigration devient ainsi celle de la renaissance et du renouveau, par la créolisation, le métissage de toutes les cultures en contact.
À la croisée de l’ancien et du nouveau, des traditions hiératiques - le mariage, un tissu matelassé, le bleu des portes coutumières et le blanc du marbre – sont profanées par la modernité d’un photo-montage virtuel. A contrario, un collage de mots ou un portrait sur bois font l’état du progressisme, troublent la frontière du genre, entre féminité et masculinité, rendent majeurs les minoritaires sexuels, et transgressent les normes établies par la pensée dominante. Ces contrées multiples et erratiques influent sur les chairs et les crânes qui deviennent des territoires en eux-mêmes. Se dessine ici un langage que le corps a développé pour mieux habiter son environnement, et s’écrivent là des traces archéologiques de mots qui parlent du corps désarticulé, tandis qu’ailleurs des utopies sont cartographiées et architecturées, et qu’un surréalisme sonde l’expression de l’esprit, lui permettant d’abolir les frontières et de résider dans le pays de l’imaginaire, le temps de renouveler le réel.
Aurélien Simon