Mes premiers travaux en dessin et gravure portent sur la recherche d’une identité. Bercée d’interludes de sérénité explorant le corps, la flore et la faune aquatique, cette quête d’identité continue.
Chaque chemin de vie est comme un livre, racontant au fil des chapitres les parcours, les engagements, les décisions, les croyances et les voyages entre ici et là-bas de chacun d’entre nous.
“Bir Ömur Için” est né en résonance avec le documentaire sur ma famille et moi-même diffusé, sur la chaine de TV5 Monde en 2023. Ce projet a pour volonté d’effectuer un travail sur les temps forts de la vie de ceux qui ont tout quitté « BİR ÖMÜR İҪİN », « POUR TOUTE LA VIE », pour une vie meilleure dans « ce GURBET », « ce pays étranger ». Un mot apparaissant dans les discussions de nos aînés d’ici et de là-bas, un mot dont on ne comprend le sens qu’au fur et à mesure que l’on grandit.
Un voyage en train de trois jours qui a changé leur vie : vivre loin de ceux qu’ils aiment, de ceux qu’ils chérissent, était-ce vraiment pour mieux vivre ? Cette migration a suscité l’écriture de beaucoup de poèmes et de chants exprimant ce déchirement violent. Toute mon enfance, le voyage vers ce GURBET a été embelli et idéalisé. Aujourd’hui les langues se délient et les ainés nous le content avec douleur.
Vivre loin des siens n’était pas si idyllique. Qui aurait pensé qu’aujourd’hui, ce GURBET serait cet endroit où revenir ? ... son chez-soi.
1972, mon père quitte la Turquie ; pour bagages, un panier de denrées alimentaires, un dictionnaire français-turc et des titres de transports. Un périple de trois jours à travers l’Europe puis la France. De trains en métro, de métros en trains, une nouvelle vie commence à Châteauneuf sur Sarthe et un nouvel emploi aux tanneries Sueur.
1977, ma mère et mes deux frères rejoignent mon père en avion. Quinze jours séparent sa vie dans le hameau « Sızmıt » de l’inconnu le plus complet. Ils s’installent à Châteauneuf sur Sarthe, où ils ne connaissent personne.
1972. 1977. Deux dates qui marquèrent leur histoire, leur départ vers ce « gurbet ».
Autour du cuir se construit leur nouvelle vie. Les tanneries Sueur puis Dupire offrent le cadre d’un nouveau départ, de nouvelles rencontres et l’espoir de s’épanouir dans ce nouveau pays. Mon père y travaillera toute sa vie.
Travailler le cuir des tanneries Dupire est un moyen de rendre hommage, de célébrer la matière qui réunit ces gens venus d’ailleurs, espagnols, portugais puis turcs. Le cuir fait partie intégrante de leur histoire.
Ce voyage vers le « gurbet » était un aller sans retour. Mes parents et leur génération ne rentrent définitivement au pays qu’à leur disparition. Lorsqu’ils accompagnent leurs amis dans leur ultime voyage, ils s’abritent souvent au pied d’un grand mûrier. Le mûrier a une symbolique très forte à mes yeux, c’est un lieu de rencontre, de souvenir, mais aussi un marqueur fort de notre identité ; chez nous, Alévis, le saz, instrument fait du bois de mûrier, accompagne nos rituels et cérémonies religieuses. Je ne peux qu’être sensible à la vue de cette génération, sous le mûrier, qui quitta tout pour un avenir
- Aghate G'sell, commissaire d'exposition